Bariș Terkoǧlu sort de prison mais le combat pour la liberté de la presse se poursuit en Turquie


Pourquoi ne pas le dire, c’est une excellente nouvelle qui nous est parvenue d’Istanbul hier: après 578 jours de détention, Bariş Terkoǧlu, le journaliste turc «adopté» par l’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique (AGJPB) est enfin sorti de prison!

Tenant compte de la longueur de leur incarcération, et des charges retenues contre eux, le tribunal devant lequel ils comparaissaient à nouveau a ordonné de manière assez inattendue ordonné la libération de Bariş Terkoǧlu et de son collègue Bariş Pehlivan. Tous deux restent cependant inculpés, avec treize autres journalistes, dont trois restent incarcérés, dans cette affaire extrêmement nébuleuse.Commentant les imprécisions du récent rapport de la Tubitak (agence gouvernementale de recherches scientifiques) -cf. notre précédent article: ce rapport confirmait l’injection par virus de documents litigieux (soutien à un coup d’État militaire contre l’actuel gouvernement islamo-conversateur en Turquie) dans les ordinateurs sans se prononcer sur le mode d’infection – le tribunal a décidé de commander un nouveau rapport complémentaire au même organisme, en ajoutant une échéance de vingt jours pour sa remise (le précédent rapport avait été remis en sept mois).

Séparés depuis le 14 février 2011, Bariş Terkoǧlu et son épouse Özge sont donc enfin réunis. Les efforts incessants menés par Özge et ses proches pour obtenir la libération de son époux -au même titre que les efforts menés par toutes les épouses, ou sœurs de journalistes actuellement détenus en Turquie- ont donc enfin été récompensés, et, pourquoi ne pas le dire, cette nouvelle nous fait chaud au cœur.

Mais Özge Terkoǧlu l’a déclaré elle-même, à la sortie du tribunal: « une épreuve se termine peut-être pour mon époux et son ami Bariş mais il faudrait que tous les journalistes actuellement en détention soient remis en liberté ! Jusqu’à ce qu’ils soient tous libérés, on ne sera pas totalement content mais je suis évidemment très contente de pouvoir retrouver mon mari aujourd’hui. Notre joie est et restera limitée aussi longtemps que la justice ne sera pas au rendez-vous. Nous ne serons pas tranquille aussi longtemps que la justice ne trouvera pas son chemin ! ».

Car le combat pour la liberté de la presse est loin d’être terminé en Turquie: Soner Yalçin, l’écrivain Yalçin Küçük et l’ex-policier Hanefi Avci, poursuivis dans la même affaire que Bariş Terkoǧlu, sont toujours détenus. Et tous se retrouveront, le 16 novembre, devant le tribunal d’Istanbul, pour la poursuite du procès. Et il ne faut pas oublier le méga-procès qui s’est encore ouvert en début de semaine, contre 44 journalistes kurdes, dont 35 sont détenus. Ni la centaine de journalistes turcs toujours incarcérés.

La libération de Bariş Terkoǧlu et de Bariş Pehlivan n’en est donc qu’un encouragement supplémentaire à poursuivre le combat, jusqu’à ce que la presse turque retrouve sa pleine et entière liberté!

En Turquie, une preuve fabriquée reste une preuve


Les atteintes à la liberté de la presse ont repris de plus belles en Turquie. En début de semaine, 44 journalistes, dont 35 détenus depuis le 20 décembre 2011, travaillant essentiellement pour des médias de gauche turcs ont comparu pour la première fois, sous la classique accusation de propagande ou d’appartenance à une organisation terroriste. Et ce jeudi, à Dyiarbakir, c’est le procès de Berdi Adanir, qui avait osé diffusé un journal réalisé par des journalistes détenus, qui entre dans une phase cruciale. Tandis que demain, vendredi, à Istanbul, se déroulera la treizième audience dans le procès Odatv, où est notamment poursuivi Bariş Terkoğlu, le journaliste turc « adopté » par l’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique, à la demande de la Fédération Européenne des Journalistes.

A l’approche de la reprise de ce procès, l’épouse de Bariş Terkoğlu, Özge, nous a fait parvenir une lettre, qui témoigne, si besoin en était, des conditions assez invraisemblables dans lesquelles la Justice se rend dans son pays. Une Justice pour qui une preuve de toute évidence fabriquée reste malgré tout… une preuve.

« J’espère que ce message vous trouvera en bonne forme. Je vous l’adresse pour faire le point sur le dossier Odatv, à l’approche de la prochaine audience, prévue pour ce vendredi 14 septembre« , nous écrit-elle.

Et de rappeler que « Lors de la dernière audience, le 18 juin, plus de cent jours après la précédente, Bariş et ses collègues ont une nouvelle fois réclamé en vain justice, et rappelé que le traitement normal de l’information ne peut pas être considéré comme un crime. Je vous rappelle qu’on n’a posé que cinq questions à Bariş après son arrestation, et qu’aucune d’entre elles n’avait rapport avec une organisation ou une action terroriste. On n’a pas posé de question non plus à Bariş Pehlivan (N.D.L.R. : le directeur du site). Mais les juges n’en ont pas moins décidé qu’à l’exception de Müyesser Yıldız, les autres accusés devraient passer 92 jours supplémentaires derrière les barreaux. »

« Bariş et ses coprévenus sont des journalistes et des auteurs, qui ont estimé avoir le droit de toucher les « intouchables » aux yeux du gouvernement« , ajoute Özge. « En dehors de coups de téléphone bien normaux dans un processus de collecte de l’information, toute l’accusation était basée sur des documents numériques, retrouvés dans les ordinateurs saisis chez Odatv. Ces documents apparaissaient comme des notes prises par les journalistes appréhendés. Mais aucun d’entre eux n’était au courant de l’existence de ces documents avant leur interrogatoire, et, afin de comprendre d’où ces documents venaient, leurs avocats ont demandé qu’on examine ces ordinateurs. Des chercheurs indépendants, travaillant dans trois prestigieuses universités d’État en Turquie, ont démontré que ces documents avaient été introduits par des virus dans les ordinateurs saisis, et leur analyse a été confirmée par des spécialistes américains. Tous ces spécialistes étaient parfaitement conscients de la responsabilité qu’ils prenaient à l’égard du tribunal. Et pourtant, malgré ces rapports indépendants produits par quatre institutions indépendants, le tribunal a réclamé une nouvelle analyse, à mener par une institution liée au gouvernement, TÜBITAK.Finalement, après 19 mois, une enquête technique sur les documents numériques qui constituent les seules « preuves » de l’accusation, a donc enfin été réalisée. Le langage utilisé par TÜBITAK dans son rapport est très prudent, dans le sens négatif du terme, mais il n’en confirme pas moins les constats dressés par les précédentes analyses, à savoir :

  • les PC sont infectés
  • les virus permettent une intrusion externe dans les ordinateurs
  • les ordinateurs ont été atteints par le truchement de ces virus
  • les documents n’ont jamais été utilisés, lus, ou modifiés par les utilisateurs habituels des ordinateurs.

Et pourtant, malgré ces constats, la conclusion du rapport est très vague : il se contente de poser qu’ «il n’est pas possible de se faire une opinion définitive sur le fait que ces documents ont été introduits de manière malveillante dans les ordinateurs ».
Tout qui lit le rapport peut en déduire clairement que les documents numériques ne peuvent plus être considérés comme des preuves dans ce dossier et qu’au contraire, la violation des ordinateurs saisis devrait faire l’objet d’une enquête. Après le dépôt du rapport TÜBITAK, les avocats ont demandé la remise en liberté des prévenus. Mais les juges ont ignoré le contenu du rapport, et ont cité la phrase reprise ci-dessus pour rejeter la demande.
Tout ce que nous voulons, c’est que la vérité, qui ressort même du dossier TÜBITAK ne soit pas masquée de la sorte.
L’audience de vendredi est extrêmement importante pour nous : nous en attendons qu’elle mette fin à ce cauchemar, et c’est pourquoi toute l’attention internationale que nous pouvons recevoir est d’une valeur inestimable pour nous. »

Qu’ajouter à cela? Si ce n’est une invite à transmettre un message d’encouragement à Bariş: https://twitter.com/baristerkoglu