La démocratie n’est pas impuissante face au fascisme


L’installation des députés élus le 26 mai dernier s’annonçait comme une grande journée pour Dries Van Langenhove, la dernière recrue du Vlaams Belang. La tradition imposant au doyen de l’assemblée de présider la séance, avec l’apport de deux plus jeunes devait installer le fondateur de la tristement célèbre association Schild&Vrienden, inculpé pour racisme, xénophobie, et port d’arme à la tribune, avec la jeune députée socialiste Mélissa Hanus – qui avait déjà annoncé son refus d’y côtoyer un authentique fasciste – et celui-ci espérait bien profiter des incidents provoqués par divers parlementaires, essentiellement francophones, pour s’assurer une publicité politique douteuse.

Patrick Dewael, le député-bourgmestre Open vld de Tongres, en a décidé autrement. Ancien président de la Chambre, il en connaissait déjà le règlement par coeur. Et pour être bien sûr de lui, il l’a repotassé. Et a découvert que si la tradition prévoyait que la séance inaugurale, en début de chaque législature, attribue au plus ancien élu la tâche de présider les débats et de se faire assister des deux plus jeunes, aucune disposition du règlement n’impose une manière de sacrifier à cette décision.

Il a donc annoncé en début de séance qu’il présiderait les débats depuis son siège «le seul que les électeurs m’ont attribué». Et il a donc privé Dries Van Langenhove, incapable de lui opposer le moindre argument, de l’exposition espérée.

Que Patrick Dewael se montre intransigeant face à l’extrême-droite n’a rien d’étonnant: comme sa cousine Marleen Vanderpoorten, ancienne présidente du Vlaams Parlement, il a été imprégné dès son enfance du souvenir de son grand-père, Arthur Vanderpoorten, ministre de l’Intérieur en mai 1940, arrêté dans la France de Vichy en janvier 1943 sous l’accusation d’avoir organisé des filières d’évasion vers le Royaume-Uni, déporté en Allemagne et décédé au camp de concentration de Bergen-Belgsen. Sous l’impulsion de feu Herman Vandepoorten, ancien ministre et bourgmestre de Lierre, fils d’Arthur, père de Marleen, et oncle de Patrick Dewael, la famille en a gardé une aversion naturelle pour le fascisme, représenté aujourd’hui en Flandre par le Vlaams Belang.

Mais, fidèle à ses principes, Patrick Dewael a surtout montré que la démocratie peut résister efficacement à l’extrême-droite en utilisant les armes qui sont les siennes. À commencer par le respect des règles qu’elle se donne. Et en affirmant sa détermination à débattre avec les élus du Vlaams Belang dès que l’occasion s’en présentera. Pour défendre les valeurs qui sont les siennes.

Son attitude est aussi celle de son parti. Le vétéran Herman De Croo a retardé sa démission du Parlement flamand pour en occuper le perchoir, lors de l’installation de ses nouveaux députés, et en priver ainsi la figure de proue anversoise du Vlaams Belang, Filip De Winter, de s’y installer. C’est aussi la présidente de l’Open VLD, Gwendolyn Rutten, qui a appelé Bart De Wever, le «formateur» flamand, à clarifier son attitude à l’égard du parti d’extrême-droite.

L’attitude du président de la N-VA tranche en effet singulièrement avec celle de Patrick Dewael sur le sujet. Ses rendez-vous répétés avec le président du Vlaams Belang semblent indiquer sa volonté de rompre le cordon sanitaire – à laquelle son parti n’a d’ailleurs pas souscrit, a-t-il insisté – voire de conclure avec l’extrême-droite flamande un accord de gouvernement, pourvu qu’elle lisse son discours. Quitte à présider un gouvernement minoritaire? Les autres partis flamands, unanimes jusqu’ici, ont répété leur refus de s’associer au Vlaams Belang.

Peut-être Bart De Wever espère-t-il mouiller l’extrême-droite au pouvoir, et lui faire subir ainsi la sanction de l’électeur au scrutin suivant. L’exemple autrichien devrait pourtant démontrer à cet amoureux du monde germanophone que le calcul est vicié à la base. Les succès actuels de Matteo Salvini et de la Ligue, en Italie, en fournissent une autre preuve.

Quel que soit le soutien électoral dont bénéficie l’extrême-droite, la seule attitude démocratique cohérente qui s’impose, c’est de la laisser dans son coin nauséabond.