La «Thatchereke» flamande joue cavalière seule…


On croyait le gouvernement flamand sorti de l’impasse sur les rejets d’azote imputés à l’agriculture, grâce à l’accord arraché aux forceps il y a quelques semaines, cela ne pouvait suffire à la ministre flamande de l’Environnement: Zuhal Demir (N-VA) a convoqué en fin de semaine dernière une conférence de presse où les questions des journalistes étaient interdites (!), et où elle a annoncé des directives ministérielles qui ignorent les dérogations forgées pour les agriculteurs flamands qu’elle avait pourtant concédées.

La ministre flamingante limbourgeoise a évidemment suscité la colère de son collègue de l’Agriculture, Jo Brouns (CD&V), qu’on accuse d’ignorer, dans la défense du secteur agricole, qu’il est aussi ministre de l’Économie, de l’Économie sociale, de l’Innovation, et du Travail. Mais elle a aussi provoqué l’étonnement du vice-ministre-président libéral, Bart Somers, qui s’est efforcé, mais en vain jusqu’à présent, de ramener l’église au milieu du village.

Dans ce bras-de-fer limbourgeois entre deux de ses ministres, le ministre-président, Jan Jambon, est resté étrangement silencieux jusqu’à ce que, en réponse à des interpellation au Vlaams Parlement, il annonce que le projet de décret, résultant de l’accord forgé il y a quelques semaines, est toujours à l’étude. Mais qu’il n’est pas encore concrétisé… parce qu’aucune société ne s’est présentée pour mener l’étude d’impact de l’agriculture préalable.

L’excuse est grosse et est mal passée. Et Zuhal Demir n’est pas sortie indemne de l’aventure. Car les commentateurs n’ont pas manqué de souligner qu’une directive ministérielle n’a pas force de loi, et ne va pas apporter la clarification attendue par les agriculteurs flamands. «C’est tout juste un peu plus que rien» a décoché une analyste, dans l’émission de débat de la deuxième chaîne flamande, Ter Zake.

Celle qui se dit la «Thatcher flamande» reste loin de son modèle!

Rik van Cauwelaert, vétéran de la presse politique flamande, n’a pas été tendre non plus pour celle qui aime se comparer à Margaret Thatcher, mais n’a pas l’envergure de la défunte Première ministre britannique. «Quand on veut passer en force, il faut être sûr de réussir», a-t-il rappelé. Zuhal Demir est loin du compte.

Surtout, le commentateur a relevé que l’ambitieuse ministre cible l’agriculture… mais néglige le secteur industriel, et notamment le secteur chimique, qui, autour d’Anvers, rejette énormément d’azote dans l’atmosphère…

«En Frise, la diminution du nombre de vaches s’est accompagnée d’une augmentation des rejets d’azote» a-t-il signalé. Et on sait que chez nos voisins néerlandais, la rébellion agricole a donné lieu à la création d’un parti agrarien, dont le succès aux élections locales a fait éclater la coalition gouvernementale, et emporté le Premier ministre, Mark Rutte, au pouvoir depuis quatorze ans, qui ne se représentera plus.

Pas de cela en Flandre: le gouvernement flamand ne peut être renversé que si une coalition différente peut prendre sa place (c’est le cas en Wallonie aussi), et l’équipe Jambon restera en place jusqu’à l’an prochain.

Ce gouvernement, notait Yves Lambrix, dans son éditorial du jour dans le Belang van Limburg, s’est surtout illustré par son «incapacité à régler le problème de la prime enfance et des centres d’accueil; de combler le retard dans la construction de logements sociaux; de faire évaluer le paquebot de l’enseignement dans une autre direction; ou de concrétiser son plan de relance intitulé « Résilience flamande »…».

«Pour masquer leur impuissance, les excellences N-VA tirent à boulets rouges sur le gouvernement fédéral Vivaldi. Qui lui aussi échoue dans ses grandes réformes. Mais on peut en dire autant de Jambon I. Ce dernier a dégradé le « ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux », et « plus de compétences pour la Flandre » en « tubes » usés. Non, ce gouvernement flamand n’est en rien meilleur que le gouvernement fédéral», conclut Yves Hendrix.

Nous n’aurions pu mieux dire!

La jacquerie néerlandaise s’est traduite dans les urnes


Les Français avaient connu les «Bonnets rouges» avant les «Gilets jaunes» sans pouvoir traduire cette colère populaire dans les urnes: les Néerlandais ont transformé l’essai, en faisant du BoerBurgerbeweging (le Mouvement Paysans-Citoyens) le grand vainqueur des élections provinciales cette semaine. Ce qui leur a valu les félicitations du Premier ministre libéral, Mark Rutte, même si le nouveau-venu a pris des voix à son parti, à son partenaire de coalition démocrate-chrétien (CDA), et surtout au parti d’extrême-droite, Forum voor Democratie, de Thierry Baudet.

Le succès de l’ancien «Parti des fermiers» n’est pas tout à fait inattendu: aux Pays-Bas comme en Flandre récemment, les agriculteurs ont massivement manifesté pour rejeter les dispositions d’un plan de réduction des rejets d’azote que, comme chez nous, ils estimaient trop massivement dirigé contre le secteur agricole.

Caroline Van der Plas illustre l’adage selon lequel le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir…

Les électeurs néerlandais sont par ailleurs coutumiers du vote en faveur de partis nouveaux, qui ne se sont pas encore frottés à l’exercice du pouvoir. Dans les années 60-70, c’est le parti D66, libertaire à ses débuts, qui a recueilli les voix des mécontents. Trente ans plus tard, c’est un leader d’extrême-droite décomplexé, Pim Fortuyn, qui a opéré une percée spectaculaire, avec un anti-islamisme forcené, qui a conduit à son assassinat. Sa succession a été prise avec un succès certain par Geert Wilders, le chef aux cheveux peroxydés d’un parti hypocritement baptisé « de la Liberté» (PVV). Avant que Thierry Baudet, et son Forum pour la démocratie, ne prenne le relais au cours des derniers scrutins. Jusqu’à cette semaine, où, victime d’une dissidence, il a surtout vu le BBB, conduit par une ancienne journaliste, Caroline Van der Plas (soucieuse de confirmer l’adage selon lequel le journalisme mène à tout à condition d’en sortir?), lui damer le pion.

Au vu des exemples ci-dessus, le Mouvement Paysans-Citoyens est-il appelé à… ne pas durer?

Dans la foulée de ce succès électoral inattendu, les Néerlandais veulent y croire. «Il leur suffit qu’ils placent des gens compétents aux postes à responsabilités pour qu’ils s’installent dans la durée» confiait un de ses électeurs au micro de la télé flamande, partie à la découverte de ce phénomène politique nouveau.

La chance du BoerBurgerBeweging pourrait venir d’une invitation à se joindre à la coalition gouvernementale, peut-être à la place d’un des partenaires affaiblis, le CDA (dont Caroline Van der Plas a fait partie naguère), ou la Christen Unie, le petit parti confessionnel cramponné sur des positions assez rétrogrades.

Le BBB, nous dit-on, ne se contente pas d’une seul problématique, les règles en matière de rejet d’azote, ou d’un seul secteur, le secteur agricole. Son programme est plus large que cela, et il présente à la fois des aspects de gauche, en matière sociale, et de droite, en matière d’immigration notamment, susceptibles de balayer large.

Un coup d’œil sur son programme laisse tout d’abord apparaître des propositions plutôt.. écolos: un sol sain, des plantations saines, des animaux sains, des paysans, des jeunes et des citoyens sains. Tout comme l’économie, l’enseignement, et la société. Des Pays-Bas en pleine santé, en quelque sorte!

Tout de même, si le parti rejette toute forme de discrimination, et veut des Pays-Bas ouverts à une immigration en provenance de pays en guerre, pour tous les autres migrants, il exige qu’ils puissent prouver qu’ils ont un métier pour pouvoir rester chez nos voisins. Ce qui revient à dire, en fait, qu’ils ne seront guère à obtenir un titre de séjour!

Le BBB propose aussi notamment un Fonds, alimenté par les supermarchés, pour récompenser les agriculteurs soucieux du bien-être animal. Au vu de l’attitude de l’actionnaire néerlandais du groupe Delhaize, ce n’est pas gagné d’avance! Il veut également renforcer le droit qui protège l’agriculture, et notamment la transmission agricole. Une loi doit prévoir des compensations, qui empêcheront les frais de transmission de se répercuter sur le consommateur, explique-t-il. Et ils entendent assouplir le plan de réduction des rejets d’azote…

La multiplicité des partis politiques aux Pays-Bas rendant la négociation de chaque coalition gouvernementale fort longue entre partenaires obligés de signer des compromis, le BBB, s’il s’installe dans la durée, risquera de se trouver un jour associé aux partis au pouvoir… que les électeurs néerlandais sanctionnent ensuite, en accordant leurs voix à un nouveau-venu.

On est impatient de connaître la suite…