Échec et mat aux pontes verviétois et au président du PS francophone


Les dés sont donc tombés à Verviers: le député fédéral Malik Ben Achour ne ceindra pas une écharpe mayorale à laquelle, dit-on, il n’était pas fondamentalement attaché: l’homme-lige du président du PS, Paul Magnette, s’est non seulement révélé incapable de trouver une majorité parmi les dix des treize élu(e)s qui subsistaient au sein du groupe socialiste au conseil communal de la Cité lainière, pour réenclencher une procédure hasardeuse qui lui aurait permis de remplacer Muriel Targnion au fauteuil mayoral, mais en plus, il a réussi à provoquer une nouvelle scission au sein du parti, qui se décompose désormais en trois groupes: les «Indignés verviétois», à savoir la bourgmestre et l’échevin Alexandre Loffet, exclus du PS, et la conseillère Laurie Maréchal, qui en a démissionné; le «groupe Aydin», qui rassemble cinq élu(e)s fidèles au controversé président du CPAS, Hasan Aydin; et cinq «orthodoxes», dont Malik Ben Achour lui-même.

Dix mois après la première déflagration, qui avait vu la bourgmestre tenter d’éjecter de son poste un président du CPAS, devenu infréquentable aux diverses composantes de la majorité alors en place (PS-PR-Nouveau Verviers), et les réactions en cascade, téléguidées depuis le boulevard de l’Empereur, siège du PS francophone, que cette initiative avait provoquée, on en revient au point de départ: Muriel Targnion est plus que jamais en place; Hasan Aydin continue à présider le CPAS, et les autres partenaires de majorité, avec ou non le cdH de l’ancienne Cité lainière, vont devoir tenter de gouverner la ville jusqu’aux prochaines élections communales en 2024.

Qui porte la responsabilité de cet échec?

Malik Ben Achour et Muriel Targnion se rejettent déjà par médias interposés la responsabilité de cette mauvaise farce. Plus globalement, et même si le MR et le cdH verviétois ont été et sont toujours traversés par de profondes divergences internes, c’est au sein du Parti socialiste de Verviers, et de la fédération Wallonie-Bruxelles qu’il faut chercher la responsabilité de ce fiasco qui laisse stagner une ville en phase de paupérisation et dont le centre-ville prend depuis des années des allures de désert commercial.

Le problème, au départ, était à la fois simple et délicat pour le PS. Muriel Targnion s’était déconsidérée, à la présidence d’Enodia, l’intercommunale faîtière de Nethys, par sa défense aveugle de la gestion de la société par son ancien administrateur-délégué, Stéphane Moreau, désormais aux prises avec la Justice. Hasan Aydin, lui, s’était signalé par son manque de collégialité, par son dédain des règles administratives et de certains prescrits légaux – par exemple quand il avait mobilisé du personnel du CPAS au profit de ses permanences sociales et de celles de l’échevin Antoine Lukoki – et par sa misogynie affichée.

La logique aurait voulu que le parti les écarte tous deux, quand Muriel Targnion, soutenue au départ par une majorité du groupe socialiste encore uni au sein du conseil communal verviétois a pris l’initiative d’une motion de défiance à l’endroit du président du CPAS. C’est alors que les choses se sont emballées, avec, in fine, l’exclusion de la bourgmestre des rangs du parti; celle de l’échevin des Finances, Alexandre Loffet; le départ de la conseillère Laurie Marechal. Et la mise en œuvre d’une motion de défiance, battue ensuite en brèche par le Conseil d’État, qui a fait de l’ancien président du Parlement de la Communauté française, Jean-François Istasse, le bourgmestre verviétois le plus éphémère.

Toute cette procédure, mise au point ou à tout le moins approuvée par le président du PS, Paul Magnette, soutien indéfectible de Malik Ben Achour, s’est faite au mépris même des statuts du Parti socialiste: ni Muriel Targnion, ni Alexandre Loffet n’ont comparu devant l’instance qui aurait dû évaluer leur comportement, mais ils ont été directement attraits devant l’instance… d’appel. Sans que personne, au sein du parti, ni à Verviers, ni au niveau de la fédération, ni à Bruxelles ne s’émeuve de cette violation des droits de la défense.

Même liberté avec les statuts du PS, au niveau verviétois: les fidèles de la bourgmestre ont été débarqués du comité de l’Union Socialiste Communale (USC) et remplacés par une direction provisoire, conduite par le directeur général en congé de la ville, qui n’a pas été validée par une élection. Nécessité fait loi, disait-on. Le résultat est qu’aujourd’hui, on en revient au point de départ.

La stratégie de Paul Magnette visait de toute évidence à éviter, à Verviers, un nouveau cas «Emir Kir», avec le président du CPAS, Hasan Aydin, qui bénéficie d’un soutien ouvert de la communauté turque de Verviers, et au-delà, des organisations turques de Wallonie et de Bruxelles, ainsi qu’on avait pu le voir lors d’une manifestation houleuse précédant une réunion du conseil communal, en juin de l’année dernière.

«Plumer la poule sans la faire crier»

L’espoir de Paul Magnette était, selon une expression bien connue, de «plumer la poule sans la faire crier». En clair, de se débarrasser définitivement de Muriel Targnion avec la complicité active de Hasan Aydin, puis d’écarter ce dernier à la fois du mayorat qu’il pouvait revendiquer en tant que deuxième score de la liste, et de la présidence du CPAS. Ce fut l’épisode, cousu de câbles blancs, des candidatures pour un échevinat à rentrer récemment à l’USC, et que Hasan Aydin a éludé en rentrant un acte de candidature au… mayorat verviétois.

Tout ceci renvoie à d’autres responsabilités dans la déglingue du PS verviétois, et, par voie de conséquence, de la vie politique à Verviers. À commencer par celle de l’ancien bourgmestre Claude Desama, qui a pavé la voie à Muriel Targnion, pour faire barrage à Hasan Aydin, avant de la dézinguer, la jugeant indigne d’exercer sa succession.

C’est sous l’impulsion de Claude Desama, également que le PS verviétois, à l’instar de ce qu’il a fait à Bruxelles avec Emir Kir, est parti à la chasse au vote ethnique, au point qu’une jeune élue d’origine turque, Duygu Celik avait dénoncé un vote organisé dans les mosquées, après le scrutin de 2012. Cela lui avait valu un qualificatif très peu amène de Claude Desama, aussitôt démenti par celles et ceux qui avaient guidé le parcours de la jeune femme, aujourd’hui attachée au cabinet de la ministre wallonne, Christie Morreale, en sciences politiques à l’université de Liège.

L’épisode ne laissera pas des traces qu’au sein du parti socialiste verviétois: les instances de la fédération verviétoise sont en cours de renouvellement, puisque le président fédéral, Alexandre Loffet, a été défenestré du PS. La bourgmestre de Limbourg, Valérie Dejardin, et celle de Dison, Véronique Bonni, sont en lice pour la présidence, et l’une d’entre elles est notoirement farouchement hostile à la bourgmestre de Verviers. Ajoutons à cela que le député wallon theutois, André Frédéric, et l’échevin malmédien Ersel Kaynak ont été, avec le désormais ministre wallon Christophe Collignon, chargés d’une mission de médiation qui a fait long feu à Verviers, tandis que l’ancien ministre et bourgmestre de Dison, Yvan Ylieff; le député hervien et ancien secrétaire général de la FGTB, Marc Goblet; ou le député provincial, ancien bourgmestre de Welkenraedt et ancien président de la fédération verviétoise du PS, Claude Klenkenberg, dénonçaient les atteintes aux statuts qui ont émaillé le processus.

Il y a très longtemps, à l’époque où le PSB-BSP était encore uni au plan national, un de ses slogans de campagne était «fort et uni, sterk en eensgezind».

À Verviers, les adversaires du PS peuvent désormais paraphraser François Mauriac parlant de l’Allemagne, et dire qu’ils l’aiment tellement qu’ils sont heureux qu’il y en ait… trois.

En attendant, la ville de Verviers attend des initiatives politiques mobilisatrices…

Des mots qui n’engagent que celles et ceux qui y croient


«Un symbole d’ouverture et de progrès»: le site du PS ne tarit pas d’éloges pour Duygu Celik, mise en vitrine «à l’heure où les conservatismes ressurgissent un peu partout en Europe».

Duygu CelikOn en est franchement heureux pour la jeune conseillère communale verviétoise, photographiée aux côtés du président ff du PS, dimanche, au congrès qui a vu Elio Di Rupo quitter (si peu) son costume de Premier ministre pour se profiler en candidat socialiste aux accents résolument (?) de gauche. On en est d’autant plus satisfait pour elle qu’au soir de la défaite socialiste aux élections communales à Verviers, l’ancien mayeur de la cité lainière, et aussi ancien député européen, Claude Desama, l’avait qualifiée d’«écervelée», pour avoir osé dénoncer le poids des mosquées dans le vote socialiste verviétois. Les avis que nous avions sollicités à l’époque, notamment du côté de l’université de Liège, avaient démenti ce qualificatif peu amène, qui discréditait celui-là même qui l’avait fait figurer sur sa liste démontrant, pour le coup, un singulier manque de clairvoyance.

Paul Magnette, manifestement, ne partage pas cette opinion. Et le PS promeut la candidature à l’Europe de Duygu Celik… reléguée à la quatrième suppléance, ce qui ne lui donne évidemment pas la moindre chance d’être élue. L’ouverture et le progrès ont leurs limites!

V-De-Keyser1Le Parlement européen, Véronique De Keyser, elle, elle le connaît bien: elle vient d’y siéger pendant treize ans, y exerçant la fonction de vice-présidente du groupe socialiste sous sa dernière mandature. En mai, elle siégera pour la dernière fois dans l’assemblée européenne. Parce qu’elle ne se représentera plus aux suffrages des électeurs. À 69 ans, après trois mandats consécutifs, elle peut bien passer le témoin, me direz-vous, et sans doute peut-on adhérer à cette idée. Si ce n’est que Véronique De Keyser n’a pas été écartée sur son âge, ni non plus sur son bilan (très riche) de députée européenne, mais simplement parce qu’«il y avait trois eurodéputés socialistes liégeois (et que) le parti a souhaité proposer un candidat de Bruxelles, de Liège, et du Hainaut» a expliqué à ma collègue Pascale Serret Hugues Bayet, député wallon et bourgmestre socialiste de Farciennes. Lequel, en troisième place sur la liste européenne du PS, est assuré ou quasi d’être élu… et de pouvoir continuer à cumuler son écharpe mayorale et son nouveau mandat, cette fois d’eurodéputé.

Vous avez remarqué? Il n’est nullement question d’Europe dans la bouche de Hugues Bayet. Et, si on suit son raisonnement, le PS, comme d’ailleurs sans doute les autres partis francophones a construit sa liste européenne non en alignant les candidat(e)s les mieux au fait des enjeux européens, mais en procédant à un saupoudrage sous-régional d’autant plus stupide qu’il n’a aucune incidence au Parlement bruxello-strasbourgeois. Et voilà comment Véronique De Keyser, qui avait déjà sauvé de toute justesse sa place sur la liste européenne du PS, mise en cause pour la même raison il y a cinq ans, passe aujourd’hui à la trappe.

Une nouvelle fois, comme cela avait été le cas pour Isabelle Durant, on constate donc que les partis se soucient comme un poisson d’une pomme du travail qu’effectuent leurs représentants à l’Europe. Les cimetières sont certes remplis de personnes irremplaçables, mais il y a là quelque chose de choquant. Surtout dans la manière, car offrir une avant-dernière, voire une dernière suppléance à l’eurodéputée sortante était tout simplement insultant. Cela revenait à capter les voix qui se porteraient sur son nom, tout s’assurant qu’elle ne pourrait plus siéger. Recueillir le beurre et l’argent du beurre, en clair…

«Se faire jeter comme un chien est révoltant, mais n’a rien de honteux pour le chien. C’est le maître dont on se méfie» a lancé, rageuse, Véronique De Keyser, au risque de paraître ainsi s’accrocher à un mandat rémunérateur. Les questions que l’élue liégeoise a posées sur «le centralisme démocratique croissant de l’appareil (du PS), et la paranoïa qui s’est développée autour de la défense de la personne du Premier Ministre» risquent pourtant de rebondir autour de la campagne électorale régionale, fédérale, et européenne. Dont le PS risque de payer l’addition. Pour ne prononcer que des mots, qui n’engagent que celles et ceux qui y croient.