Les journalistes responsables de la montée ou non de l’extrême-droite? Un peu courte, l’analyse!


Pour Jean-Marc Nollet, l’absence de l’extrême-droite en Wallonie serait le résultat du «silence médiatique» à son propos!

Le coprésident d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, était présent sur La Première, ce matin, comme dans les colonnes de divers journaux, dont celui qui m’a employé pendant de nombreuses années sans jamais me rémunérer à mon goût (lol). Et, en radio, il a osé féliciter son interlocuteur sur le «cordon médiatique» qui, selon lui, préserve la Wallonie de la déferlante d’extrême-droite qui fait rage en Europe depuis des mois, et dont le dernier avatar a fait une percée désolante au Portugal, en demi-siècle après la révolution des œillets qui a mis fin à la dictature salazariste.

Il est vrai que l’extrême-droite n’a pas droit au chapitre dans les médias francophones… pour la bonne et simple raison qu’elle est pratiquement inexistante sur le plan politique!

Pourquoi l’extrême-droite «n’accroche»-t-elle pas en Wallonie? Différentes formes d’explications ont déjà été avancées ces dernières années, dont la principale est l’absence de «nationalisme wallon».

Si le contentieux fouronnais, dans les années 1980, le slogan flamingant «Plus un franc flamand pour l’acier wallon»; ou l’émergence progressive du pouvoir wallon ont pu créer un sentiment wallon, les Wallons sont plus particularistes que nationalistes. Avant d’être Wallon(ne), on est Liégeois(e); Borain(e); Luxembourgeois(e); Namurois(e); Condruzien(ne); Hesbignon(ne); Carolorégien(ne); et autres identités plus locales.

Autre élément d’explication: l’extrême-droite wallonne n’a jamais été entraînée par un(e) leader d’envergure. Au contraire, les diverses mouvances d’extrême-droite, portées par des responsables falots, ont plus passé leur temps à se chamailler entre elles qu’à forger un programme nauséabond, du type de ceux de la Lega en Italie; de l’Afd (Alternativ für Deutschand) Outre-Rhin; du Rassemblement national en France; ou du Vlaams Belang en Flandre, qu’on annonce premier parti au nord du pays au lendemain des scrutins du 9 juin prochain. Au point que le Front national français, mué depuis lors en Rassemblement national, avait fini par interdire au Front national belge l’utilisation de son nom et de son symbole, la flamme tricolore, rouge-jaune-noir en Belgique, sur le modèle de la bleu-blanc-rouge française.

Rendre les journalistes responsables de l’émergence et de l’essor de mouvements d’extrême-droite n’est pas nouveau, en Belgique francophone. Il y a une trentaine d’années déjà, Louis Michel, alors président des libéraux francophones, avait déjà avancé pareille explication. Ce qui m’avait déjà poussé, alors en tant que président des journalistes belges et francophones, à protester.

Les journalistes français(e)s auraient-ils (elles) rempli leur devoir d’informer s’ils (si elles) avaient refusé la parole à Marine Le Pen avant le deuxième tour de la dernière élection présidentielle?

Même si une chaîne comme CNews, en France, est réputée «rouler pour» l’extrême-droite, dont elle relaie complaisamment les points de vue, oserait-on dire que les journalistes français, dans leur ensemble, sont des suppôts de l’extrême-droite, parce qu’ils invitent périodiquement des responsables politiques du Rassemblement national à s’exprimer? N’auraient-ils pas rempli leur mission d’information, quand Marine Le Pen s’est retrouvée au deuxième tour de l’élection présidentielle, face au (futur) président Macron, s’ils ne lui pas octroyé le même temps de parole?

De la même manière, les journalistes néerlandophones de Belgique peuvent-ils se permettre de ne jamais parler du Vlaams Belang, alors que la percée de ce parti s’annonce irrésistible, au point de le placer en tête au lendemain du 9 juin?

Dans le même temps, s’indigne-t-on en Wallonie de l’espace accordé au PTB (Parti du Travail de Belgique)? Même si l’extrême-gauche et l’extrême-droite ne peuvent sûrement pas être placée sur un pied d’égalité, en fonction des «valeurs» qu’elles défendent respectivement.

De toute manière, il y a belle lurette que les journalistes, tout en refusant toute responsabilité dans l’émergence et le progrès des mouvements d’extrême-droite, ont réfléchi à la manière de les aborder, en décortiquant leur programme et en révélant ce qu’ils ne veulent parfois pas dire.

Mais au fait, cette attitude journalistique ne doit-elle pas s’appliquer à l’ensemble des partis politiques, spécialement en période électorale? Quand Jean-Marc Nollet, ce matin, annonçait «plus de trains ponctuels» ou «quatre mille kilomètres de pistes cyclables en Wallonie» si Ecolo revient au pouvoir après le 9 juin, on aurait pu lui rappeler que le ministre fédéral de la Mobilité, Georges Gilkinet, est le vice-Premier ministre… écolo du gouvernement dirigé par Alexander De Croo. Et qu’en Wallonie, le ministre écolo de l’Énergie et du Climat, Philippe Henry, est responsable entre autres du large sous-équipement de la Région en matière de bornes de recharge des voitures électriques.

On aurait pu aussi interroger Jean-Marc Nollet sur sa présence depuis trente ans dans le landerneau politique, alors qu’Ecolo, en principe, milite pour la limitation du nombre de mandats: l’incohérence politique, plus que le silence médiatique, est une des composantes du lit de l’extrême-droite…

Correctionnaliser le harcèlement pour lui fermer la porte


Je n’étais pas à convaincre du « plafond de verre » qui fait obstacle à une authentique égalité salariale, même dans les secteurs comme celui de la presse écrite quotidienne où j’ai été actif jusqu’il y a peu et où les barèmes salariaux ne sont pas sexués. Je suis par ailleurs bien conscient depuis longtemps du pouvoir de nuisance des réseaux sociaux, où la bêtise s’exprime sans retenue sous couvert ou non d’anonymat mais avec le bénéfice de l’impunité, car qualifiée, indûment à mon sens, d’activité de presse relevant de la cour d’assises. Alors, faute de pouvoir combattre efficacement cette interprétation abusive, il ne reste qu’une solution: correctionnaliser le harcèlement comme on l’a fait jadis pour les délits de presse à caractère raciste.

Cette réflexion m’a été inspirée par la vision, ce mercredi soir sur la Une, du documentaire #SalePute d Florence Hainaut et Myriam Leroy.

Ce documentaire m’a doublement surpris à la fois par la violence des attaques contre les femmes interviewées (les injures sexistes qui ne surprennent hélas pas sont doublées de menaces physiques ou de menaces de mort explicites) et par le manque de réaction policière ou judiciaire quand les victimes portent plainte.

L’excuse? Les délits de presse relèvent de la cour d’assises et on sait qu’organiser un procès de presse coûte cher. Mais peut-on parler de délit de presse? Sur le Web, je le sais, tout le monde se proclame ou peut se proclamer journaliste… ce qui ne veut pas dire que tout le monde l’est.

Proférer des injures ou des menaces n’a par ailleurs rien à voir avec émettre une opinion ou présenter des faits après les avoir recueillis, vérifiés et mis en perspective, voire rectifiés si nécessaire, ce qui constitue l’activité journalistique par excellence.

Même à l’époque où je sévissais dans un quotidien qui m’employait et ne me rémunérait pas assez à mon goût (air connu), il m’était interdit de diffamer, a fortiori d’injurier ou de menacer quelqu’un de sévices voire de mort! Un(e) juriste normalement équilibré(e) peut-il (elle) défendre sérieusement que les mêmes pratiques relèvent d’une activité de presse parce qu’elles s’exercent en ligne?

Cela posé, l’adage veut que deux juristes enfermés dan une cabine téléphonique (s’il en existe encore?) en ressortent avec deux, trois, voire quatre opinions différentes. Et si un(e) juge a qualifié ces pratiques méprisables d’activité de presse, et qu’un(e) autre a embrayé, une jurisprudence s’élabore.

Par ailleurs, certaines conceptions évoluent : naguère, une blogueuse ou un blogueur n’étaient pas considérés comme des journalistes, aujourd’hui tout le monde admet que le journalisme s’exerce aussi à travers des blogs. À commencer par l’auteur de ces lignes.

L’argument selon lequel les journalistes bénéficient d’une quasi-impunité parce qu’on ne réunit plus une cour d’assises pour juger des délits de presse est ancien.

Les contempteurs de ce mécanisme soulignaient souvent que la Belgique était un des rares pays à ne pas avoir correctionnalisé les délits de presse et il y a une quinzaine d’années, à l’AGJPB (Association Générale des Journalistes Professionnel(le)s de Belgique) puis à l’AJP (Association des Journalistes Professionnel(le)s francophones et germanophones) que je présidais, nous nous opposions à toute correctionnalisation de ces délits en Belgique.

C’est que l’opération risquait de déstabiliser le mécanisme subtil mis en place par le constituant de 1831 pour bétonner la liberté de la presse avec l’’interdiction définitive de la censure; le principe de la responsabilité en cascade (si l’auteur est domicilié ou connu en Belgique, ni l’éditeur, ni l’imprimeur, ni le distributeur ne peuvent être poursuivis) et par la tâche confiée à la cour d’assises, avec son jury populaire, de juger les délits de presse, puisque la presse s’adresse au peuple.

L’impunité des journalistes était par ailleurs théorique avec les multiples plaintes au civil déposées contre elle et eux, d’autant plus que la cour de cassation avait étendu au domaine civil le principe même de la responsabilité en cascade.

La discussion était néanmoins serrée parce que la Justice, alors, avait qualifié d’activité de presse la diffusion par le Vlaams Blok, ancêtre du Vlaams Belang, d’un tract qualifié de raciste. Interprétation tout aussi choquante mais qui faisait jurisprudence.

Avec beaucoup de réticences, l’AGJPB a alors accepté la correctionnalisation des seuls délits de presse à caractère raciste. Et depuis lors, la pratique a dissipé les craintes exprimées pour la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Aujourd’hui, on peut donc envisager la même correctionnalisation des délits de presse relevant du sexisme, de la discrimination liée au handicap ou à l’orientation sexuelle, ou au harcèlement en ligne « en meute », pourvu que cela soit strictement balisé.

Cela ne peut se faire en trois coups de cuiller à pot, comme l’a expliqué le ministre de la Justice, Vincent van Quickenborne, ce mercredi, au débat qui a suivi la diffusion de #SalePute sur la Une: il faut déclarer les articles de la Constitution nécessaires susceptibles d’être révisés, s’ils n’ont pas été déclarés tels pour l’actuelle législature, et ensuite trouver la majorité qualifiée requise pour les modifier, sous la prochaine législature.

Cela veut-il dire qu’on doit rester passif entre-temps? Rien n’empêche des juristes de contester cette qualification d’activités de presse pour les harceleurs en ligne, ou alors de les poursuivre au civil.

Et puis, la solidarité peut s’opposer à eux: plus d’une fois au cours de la soirée, l’engagement de l’AJP et notamment de sa secrétaire générale a été souligné au cours de la soirée.

Si, au cours du lourd conflit mené au sein du journal… qui (air connu), une responsable syndicale nationale, sans doute jalouse du taux d’affiliation de l’AJP dans le secteur de la presse et de la presse écrite quotidienne en particulier, la qualifiait avec mépris d’« organisation corporatiste » (sic), elle a une nouvelle fois prouvé qu’elle défend efficacement les droits matériels et moraux de ses membres. Y compris dans des secteurs où les syndicats classiques mettent rarement la main à la pâte…

La chute de Stéphane Moreau ou la fin d’un système


La presse a fait état, ce matin, d’une quasi non-information: l’avocat de Stéphane Moreau, l’ancien patron tout-puissant de Publifin et de Nethys, a fait savoir que son client niait «avec énergie» les faits mis à sa charge de détournement par personne exerçant une fonction publique, de faux, usage de faux, escroquerie, et d’abus de biens sociaux. Le rappel de la présomption d’innocence dont bénéficie chaque inculpé a toute son utilité, mais il faut bien avouer que le contraire eût stupéfié: que le ci-devant bourgmestre d’Ans reconnaisse sa culpabilité sur toute la ligne. Les arguments brandis par son défenseur ne répondent par ailleurs guère (cf. ci-dessous) aux préventions auxquelles il doit faire face.

La remarque vaut aussi pour Pol Heyse, ancien directeur financier de Nethys, et ancien président du conseil d’administration des Éditions de l’Avenir, où ce personnage pénétré de sa grande valeur a fait la preuve à la fois de son incompétence (invité à plusieurs reprises, d’abord par l’ancien administrateur-délégué, Quentin Gemoets, puis par les délégués du personnel, à venir préciser un projet d’entreprise qu’il avait vaguement brossé le soir même de l’annonce du rachat du groupe à Corelio par l’intercommunale liégeoise Tecteo, non seulement il n’a jamais répondu à l’invitation, mais il n’a même pas accusé réception. Plus tard, on s’apercevra qu’il n’avait aucun projet à exposer dans un secteur où il ne connaissait que dalle ) et de son mépris pour le personnel: assistant à une réunion du conseil d’entreprise comme invité, il s’écriera, en prenant connaissance du nombre de personnes en congé de maladie de longue durée, que c’était «encore pire que dans une intercommunale» (sympa pour le personnel de Resa, par exemple…) et que les gens malades souffraient d’«agueusie, c’est-à-dire de manque de goût pour le travail».

Terreur, séduction et achat

Mais revenons à Stéphane Moreau, dont la chute est d’autant plus spectaculaire qu’il a, pendant quasiment un quart-de-siècle, pratiqué une politique très efficace de domination, par l’achat des personnes dérangeantes ou potentiellement dérangeantes, par la séduction, et parfois par la menace.

L’homme a rodé sa méthode avant de s’imposer comme le patron de l’ancienne Association Liégeoise d’Électricité (ALE) et de son réseau de télédistribution Teledis, ancêtres de Tecteo, rebaptisée ensuite Publifin puis Enodia, et de Nethys, la société anonyme filiale qu’il avait créée pour échapper à un contrôle wallon qu’il avait astucieusement évité.

Avant cela, au début des années 1990, celui qui était alors premier échevin à Ans, exerçait la fonction de secrétaire général de l’Intercommunale d’Incendie de Liège et Environs (IILE).

Le contexte, alors, était tendu: l’IILE avait succédé au Service Régional d’Incendie de Liège (SRIL), que la ville, en état de faillite, n’était plus en état de gérer. Le SRIL avait, comme d’autres administrations liégeoises, été confronté à un plan d’austérité, que les hommes du feu liégeois, gonflés à bloc, avaient refusé. L’épisode donnera lieu à une confrontation insolite entre pompiers et policiers de la Cité Ardente, repoussés par les autopompes des grévistes. L’épisode télévisuel fera pratiquement le tour de la terre!

Au sein de l’IILE, des communes de la périphéries… dont Ans, ne souhaitaient pas éponger les dettes du SRIL. Et les syndicats étaient toujours aussi remontés. Qu’à cela ne tienne: les délégués les plus combatifs disparaîtront bientôt de la circulation, notamment par la grâce d’un engagement au service du premier échevin ansois…

Devenu patron de Tecteo, Stéphane Moreau avait pris de la bouteille. Là aussi, il aura un plan de rationalisation à imposer. Et il le fera par la force. Une autre vidéo, celle où il enguirlande des agents en grève et leurs permanents syndicaux est elle aussi passée à la postérité.

C’est aussi à cette époque qu’il se rend coupable d’un abus de pouvoir étrangement ignoré par l’autorité de tutelle: quand des grévistes occupent le site d’antenne de Teledis, à Ans, et perturbent ainsi le réseau de télédistribution, le patron de Teledis, Stéphane Moreau, s’adresse au bourgmestre d’Ans, Moreau Stéphane, lequel mande sa police communale pour aller déloger les grévistes du site d’antenne, un site par essence privé. Vous avez dit confusion des rôles?

Même attitude à l’égard de la presse critique: des boycotts publicitaires frapperont pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois Vers l’Avenir et Le Soir, après des articles portant sur la multitude de ses mandats, ou qui commencent à interroger sa gouvernance à la tête de l’intercommunale.

Mais l’homme sait aussi se faire charmeur. Il crée le «Voo Rire Festival», et ce festival du rire de Liège lui permettra de nouer de nombreuses relations, auprès des artistes reconnaissant, après de nombreux invités et puis parmi la presse, liégeoise essentiellement. Au banquet final, parmi les quelques «happy few» invités au terme d’un apéritif largement ouvert, on trouvera régulièrement des représentant(e)s de la presse principautaire, dont l’un, plus tard, sera choisi pour tenter, en pure perte, de mettre la rédaction de L’Avenir au pas, et qui a effectué ces derniers jours sur une chaîne d’information continue belge une forme assez remarquable de volte-face par rapport à son ancien protecteur. Parmi les habitués, il y aura aussi des représentants de la «grande presse» dont l’interviewer indéboulonnable d’une chaîne privée, récompensé par une obscure mission de conseiller du grand patron, toujours dans le cadre du rachat des Éditions de l’Avenir par Tecteo (cf. ci-dessous).

On reconnaîtra à Stéphane Moreau une redoutable habileté manœuvrière, quand il soustraira l’intercommunale Tecteo au contrôle wallon, en excipant la présence, parmi les communes affiliées, de Fourons, historiquement desservie par l’ALE, et en plaidant avec succès que l’intercommunale, ainsi bicommunautaire (elle sera même tricommunautaire, plus tard, avec l’adhésion de la commune d’Uccle) échappe au contrôle de la Région wallonne.

Au Parlement wallon, Bernard Wesphael, membre d’un groupe écolo singulièrement écorné, tentera alors de faire adopter un décret pour imposer, malgré tout un contrôle sur Tecteo, mais sa proposition, venant de l’opposition, ne sera jamais retenue…

Ainsi assuré d’une totale liberté d’action, Stéphane Moreau développera Nethys avec d’autant plus de facilité que les plantureux bénéfices de Resa, le réseau de distribution d’électricité qui a succédé à la défunte Association Liégeois d’Électricité, rejointe plus tard par l’Association Liégeoise du Gaz (ALG) , lui permettront de financer notamment l’onéreux développement du réseau câblé de Voo, héritier de Teledis.

Plus tard, son sens de l’ingéniérie financière le poussera à transférer l’argent des pensions des agents de l’ALE, et de plusieurs intercommunales liégeoises dans un Fonds de pension, Ogeo, dont certains investissements se révéleront hasardeux, par exemple en République démocratique du Congo ou surprenants, comme ces investissements immobiliers à Anvers, révélés par une excellente enquête de nos confrères du Vif, dont l’une des retombées sera ce soutien incongru de la N-VA aux élus socialistes de la Chambre, pour faire obstacle à la demande de levée d’immunité parlementaire de l’un d’entre eux, le député-bourgmestre de Seraing, Alain Mathot (cf. ci-dessous), poursuivi dans un dossier de corruption. Les derniers retraités de l’Association Liégeoise d’Électricité, frustrés d’avantages accordées à leurs prédécesseurs tandis qu’eux étaient toujours en activité, tenteront, mais en vain, d’obtenir de la Justice qu’elle force Tecteo à respecter les engagements souscrits par l’ALE.

Collusion politique

Avoir de l’ambition, en tant que chef d’entreprise, peut être collectivement positif. C’est d’ailleurs la parade, aujourd’hui, de Stéphane Moreau, qui, comme si c’était une circonstance atténuante à l’égard des préventions mises à sa charge, et dont, pour l’heure, il est toujours présumé innocent, plaide l’extraordinaire développement de Nethys qu’il a assuré essentiellement, on le répète, avec de l’argent public, provenant de l’intercommunale Publifin, ex-Tecteo et future Enodia, et de sa filiale Resa.

Mais, à force d’échapper à tout contrôle, l’ambition devient débridée. Celle de Stéphane Moreau, sur le plan politique, le conduira à «tuer le père». Michel Daerden, l’inamovible mayeur ansois, est sur le déclin, quand il se sent pousser dans le dos par son peu fidèle premier échevin. Il croit toujours pouvoir mobiliser ses soutiens traditionnels, et lance contre le renégat une motion de défiance… qui se retourne contre lui. Et il ne trouve pas le moindre soutien à la Fédération liégeoise du parti socialiste, où ses manières autoritaires et sa dérive suscitent de plus en plus de réticence. Stéphane Moreau devient donc premier citoyen dans sa commune du plateau liégeois.

Avec le bourgmestre de Liège, Willy Demeyer, président de la Fédération liégeoise du parti socialiste; avec le député provincial sérésien, André Gilles; avec le député-bourgmestre de Seraing, Alain Mathot; et avec Jean-Claude Marcourt, alors ministre wallon de l’Économie, et qui se rêvait ministre-président wallon, il fait ensuite partie du «club des cinq» cadenassant la Fédération.

La protection politique se parfait au sein de la coalition provinciale (la province de Liège est actionnaire majoritaire de l’intercommunale) entre le PS et son partenaire libéral, le MR, conduit par son chef de file, Georges Pire, tandis que le PSC puis le cdH est habilement associé à l’opération, puisque les mandats dans les intercommunales sont distribués selon la clé D’Hondt au prorata de la représentation des partis au sein de l’institution provinciale. On retiendra notamment le rôle joué par l’inamovible chef de groupe social-chrétien, puis humaniste, Dominique Drion dans une série de décisions cruciales.

Stéphane Moreau, qui avait déjà fait entrer Tecteo dans le capital de la société IPM, éditrice de La Libre et de La Dernière Heure, se porte alors acquéreur, à un prix nettement supérieur à leur valeur réelle, des Éditions de l’Avenir.

La manoeuvre avait peut-être dans son esprit pour but de lui assurer une protection médiatique contre d’éventuels futurs orages. Mais là, le calcul allait se révéler foireux.

D’abord parce que le rachat des quotidiens du groupe provoque une levée de boucliers dans la classe politique, où, comme rappelé plus haut, certains iront jusqu’à évoquer une «Berlusconisation» de la presse francophone, en référence au magnat italien de la presse, devenu un Président du conseil des plus discutables.

Très vite, par ailleurs, le conflit éclatera entre un personnel qui avait pu croire dans un projet industriel de Nethys vers des développements numériques, mais constats la vanité de cette attente, et à qui les pressions exercées par le rédacteur en chef de l’époque, et les tentatives de peser sur le contenu des quotidiens, apparurent rapidement insupportables

Le comble sera atteint avec la désignation, au mépris des conventions existantes, d’un directeur des rédactions «aux ordres», qui se signalera dès son arrivée par un éditorial, aux antipodes de la politique d’indépendance du groupe, volant au secours du député-bourgmestre de Seraing, toujours dans le dossier de corruption à sa charge, et dont l’épilogue judiciaire est attendu pour les prochains jours. Plus tard, lors d’une séance au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, invité à se pencher sur une forme de censure exercée par la direction du groupe, l’estime dans lequel cette dernière tenait ce directeur des rédactions sera enregistrée par une autre vidéo particulièrement significative, qui fera le tour de la toile.

L’obsession de l’argent

Autre caillou dans la chaussure de Stéphane Moreau: l’obstination d’un échevin des Finances d’Olne. Cédric Halin a des compétences en matière financière et analytique, et sa présence aux assemblées générales de Tecteo n’avait pas pour but essentiel de voter l’approbation des comptes et la décharge aux administrateurs, avant de se précipiter sur les petits fours de circonstance, mais de comprendre pourquoi les dividendes perçus par la petite commune liégeoise dont il est devenu depuis lors le bourgmestre, fondaient comme neige au soleil.

C’est en tirant sur ce fil que la dérive des comités de secteur, créés au moment de la fusion entre ALE et ALG, et où des mandataires publics se voyaient octroyer une rente mensuelle en compensation de réunions qui avaient… ou n’avaient pas lieu, que le «scandale Publifin» a commencé à éclater, dans la sphère médiatique d’abord, dans les cénacles politiques ensuite, et, de fil en aiguille, se prolongent ces jours-ci sur le plan judiciaire.

Car entre-temps, l’autorité wallonne, réveillée, avait mis des garde-fous en place, notamment pour limiter le salaires de ces super-managers d’autant plus efficaces qu’ils jouent avec de l’argent public, même au travers de sociétés anonyme dont les actionnaires sont tous publics. C’est alors que de faramineuses indemnités compensatoires auraient été subrepticement octroyées à Stéphane Moreau; au directeur financier de Nethys, Pol Heyse; à la directrice générale, Bénédicte Bayer; et une série d’autres personnes, dont certaines, une fois le scandale mis au jour, se sont empressées de rembourser les montants, bien moindres que les millions d’euros évoqués, qui leur avaient été attribués. Pour ainsi sans doute se mettre à l’abri des poursuites.

L’argent semble en effet être le gros point faible de Stéphane Moreau. Comment expliquer, autrement un faux à l’assurance, sous forme d’une police antidatée, pour éviter de devoir rembourser les frais de réparation d’un… abri de jardin détruit par un arbre tombé lors d’une tempête? Ou une domiciliation fictive avec sa compagne, pour majorer le montant d’une assurance-pension à son bénéfice? Et ces tentatives désespérées de vendre pour une bouchée de pain à l’homme d’affaires François Fornieri, lui aussi détenu, au prix d’une forme de délit d’initié puisque ce dernier était administrateur de Nethys, de filiales qui rapportent gros aujourd’hui et dont il aurait dû devenir administrateur-délégué, une fois venue la défenestration qu’il sentait venir?

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Les appuis politiques d’hier sont aujourd’hui aux abonnés absents, et les affidés médiatiques, au mieux, jouent la carte de l’oubli, ou ont retourné leur veste. L’ancien patron omnipotent de Nethys et de Tecteo a pu jouer la montre, en (ab)usant de la transaction pénale, pour éviter des condamnations qui apparaissaient inéluctables. Cette voie, aujourd’hui, lui paraît fermée. Lui reste à espérer un acquittement: le travail de ses avocats a déjà commencé.

À chacun(e) d’assumer la responsabilité de ce qui est posté sur ses réseaux sociaux


Trop tard pour les uns; dérive inquiétante pour les autres: Twitter, à sa deuxième palinodie, a décidé de fermer le compte Twitter de Donald Trump, le président sortant des États-Unis. Trop tard, parce que ce triste sire a bâti toute sa campagne électorale, il y a quatre ans, sur les réseaux sociaux, et que tout au long de sa présidence, il les a utilisés pour contourner les médias états-uniens, contre lesquels il a mené une campagne de haine constante, en les accusant de propager les «fake news», dont il est un des plus grand producteurs.

Le locataire, pour quelques jours encore, de la Maison-Blanche, est par ailleurs privé de compte Facebook, et de compte Instagram: là encore, on peut estimer qu’il a fallu attendre qu’il soit pratiquement sorti de fonction pour qu’enfin, un point d’arrêt soit mis à sa dérive.

Mais l’on peut entendre aussi la critique de celles et ceux qui s’inquiètent de voir ainsi une institution privée décréter une limitation de la liberté d’expression dans un pays où elle est une valeur fondamentale, comme dans toutes les démocraties, mais en ne lui imposant pas en plus les limitations dont elle est généralement encadrée.

Comme toutes les libertés, la liberté d’expression, et la liberté de la presse qui en est un prolongement, n’est pas absolue. L’interdiction du négationnisme, par exemple, fait l’objet d’un consensus assez large. Celle de l’incitation au meurtre relève du simple bon sens. La diffamation peut être poursuivie au plan civil, mais n’est pas pénalement sanctionnable, et elle est souvent mise en balance avec l’intérêt du public à connaître ou non une information.

Ces règles, qui valent pour les médias «classiques», c’est-à-dire identifiables, ne sont pas appliquées de la même manière sur les réseaux sociaux, qui semblent servir de défouloir non seulement à des personnes qui se plaignent, à tort ou à raison, de n’avoir pas accès aux médias «classiques», mais à qui il arrive de refuser de prendre la parole quand on la leur propose, ainsi qu’on l’a vu lors de la crise des «gilets jaunes». Mais de manière plus surprenante, cela se produit aussi chez des personnes qui ont parfois, voire souvent l’occasion de s’y exprimer, et qui, dans la vie quotidienne, ont un comportement très différent de celui qui apparaît sur leurs réseaux sociaux

La médisance y est d’autant plus facilement banalisée qu’il est aisé de dénigrer une personne absente: cela demande nettement moins de courage que de lui dire certaines choses en face. En témoignent ces éructations cueillies à la suite d’une critique d’un récent éditorial d’un quotidien de la capitale, et qui sont apparues, comme très souvent, au fil du «débat». Le mot est mis entre guillemets, car très souvent, dans ces cas, il n’y a pas de vrai débat, soit que les contradicteurs sont rapidement agonis d’injures, ou qu’ils renoncent, plus souvent à apporter la contradiction, sachant bien qu’elle risque fort de ne pas atteindre son but, à savoir faire réfléchir ses destinataires.

Au-delà de clichés empruntés à la propagande de la Chine maoïste, il y a cinq décennies, le ton indique bien qu’il est vain d’espérer pouvoir dialoguer les auteurs d’opinions exprimées avec un pareil mépris. Et encore, on reste ici dans une certaine modération. Pendant la jacquerie des «gilets jaunes», certains trouvaient légitimes les voies de fait subies par certain(e)s journalistes, au motif, disaient-ils que les médias pour lesquels ils ou elles travaillaient étaient, disaient-ils, par nature opposés aux manifestants. Quand bien même cela aurait été, leur raisonnement revenait donc à dire que toute opinion contraire aux idées poujadistes exprimées par les «gilets jaunes» était par définition interdite. Singulière conception de la démocratie!

La critique des médias «traditionnels» s’inscrit par ailleurs bien dans la veine populiste dont Donald Trump a abusé pour parvenir au pouvoir. Il fut une époque, en Belgique, dans les années 30, où un individu de sinistre réputation opposait le «pays réel» au «pays légal», au point d’en faire le titre… d’un quotidien où il dévidait ses thèses fascisantes.

Sur les réseaux sociaux (une appellation bien peu opportune!), la dérive peut aller beaucoup plus loin. En France, après l’assassinat horrible de Samuel Paty, un projet de loi a voulu empêcher les appels à la haine sur le Web. Le texte a été rejeté par le Conseil d’État, notamment sous l’angle d’un manque de proportion entre le but visé et la mesure proposée. L’équilibre est effectivement difficile à trouver, et laisser la décision à la discrétion des géants du Web, comme ils viennent de le faire pour Donald Trump, n’est sûrement pas une alternative acceptable.

Dans le même temps, les médias «classiques», eux, sont obligés de faire le ménage sur leur site en ligne, en modérant les commentaires d’internautes, justement pour en extraire les publications incitant à la haine raciale, à la xénophobie, etc.

Mais pourquoi donc cette obligation ne s’applique-t-elle qu’aux seuls médias? Toute personnes est responsable de ce qu’elle dit, écrit ou publie, et elle l’est aussi de ce qu’elle diffuse via les réseaux (fort peu) sociaux. Pourquoi ne devrait-elle pas, dans la même logique, assumer la responsabilité des commentaires qu’elle laisse publier, et ne devrait-elle pas, comme le font les médias, assurer une modération?

Resterait, bien sûr, assurer le contrôle du caractère effectif de cette modération: l’effort à fournir, et la régulation de la toile n’en est encore qu’à ses balbutiements.

Dans l’attente, on peut mépriser des commentaires de ce type, et/ou s’éloigner des réseaux sociaux, dont la désaffection est de plus en plus grande. Ou, envers et contre tout, tenter d’y apporter la contradiction, afin de ne pas laisser le terrain libre. Et renouer ainsi avec le mythe de Sisyphe…