Les journalistes responsables de la montée ou non de l’extrême-droite? Un peu courte, l’analyse!


Pour Jean-Marc Nollet, l’absence de l’extrême-droite en Wallonie serait le résultat du «silence médiatique» à son propos!

Le coprésident d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, était présent sur La Première, ce matin, comme dans les colonnes de divers journaux, dont celui qui m’a employé pendant de nombreuses années sans jamais me rémunérer à mon goût (lol). Et, en radio, il a osé féliciter son interlocuteur sur le «cordon médiatique» qui, selon lui, préserve la Wallonie de la déferlante d’extrême-droite qui fait rage en Europe depuis des mois, et dont le dernier avatar a fait une percée désolante au Portugal, en demi-siècle après la révolution des œillets qui a mis fin à la dictature salazariste.

Il est vrai que l’extrême-droite n’a pas droit au chapitre dans les médias francophones… pour la bonne et simple raison qu’elle est pratiquement inexistante sur le plan politique!

Pourquoi l’extrême-droite «n’accroche»-t-elle pas en Wallonie? Différentes formes d’explications ont déjà été avancées ces dernières années, dont la principale est l’absence de «nationalisme wallon».

Si le contentieux fouronnais, dans les années 1980, le slogan flamingant «Plus un franc flamand pour l’acier wallon»; ou l’émergence progressive du pouvoir wallon ont pu créer un sentiment wallon, les Wallons sont plus particularistes que nationalistes. Avant d’être Wallon(ne), on est Liégeois(e); Borain(e); Luxembourgeois(e); Namurois(e); Condruzien(ne); Hesbignon(ne); Carolorégien(ne); et autres identités plus locales.

Autre élément d’explication: l’extrême-droite wallonne n’a jamais été entraînée par un(e) leader d’envergure. Au contraire, les diverses mouvances d’extrême-droite, portées par des responsables falots, ont plus passé leur temps à se chamailler entre elles qu’à forger un programme nauséabond, du type de ceux de la Lega en Italie; de l’Afd (Alternativ für Deutschand) Outre-Rhin; du Rassemblement national en France; ou du Vlaams Belang en Flandre, qu’on annonce premier parti au nord du pays au lendemain des scrutins du 9 juin prochain. Au point que le Front national français, mué depuis lors en Rassemblement national, avait fini par interdire au Front national belge l’utilisation de son nom et de son symbole, la flamme tricolore, rouge-jaune-noir en Belgique, sur le modèle de la bleu-blanc-rouge française.

Rendre les journalistes responsables de l’émergence et de l’essor de mouvements d’extrême-droite n’est pas nouveau, en Belgique francophone. Il y a une trentaine d’années déjà, Louis Michel, alors président des libéraux francophones, avait déjà avancé pareille explication. Ce qui m’avait déjà poussé, alors en tant que président des journalistes belges et francophones, à protester.

Les journalistes français(e)s auraient-ils (elles) rempli leur devoir d’informer s’ils (si elles) avaient refusé la parole à Marine Le Pen avant le deuxième tour de la dernière élection présidentielle?

Même si une chaîne comme CNews, en France, est réputée «rouler pour» l’extrême-droite, dont elle relaie complaisamment les points de vue, oserait-on dire que les journalistes français, dans leur ensemble, sont des suppôts de l’extrême-droite, parce qu’ils invitent périodiquement des responsables politiques du Rassemblement national à s’exprimer? N’auraient-ils pas rempli leur mission d’information, quand Marine Le Pen s’est retrouvée au deuxième tour de l’élection présidentielle, face au (futur) président Macron, s’ils ne lui pas octroyé le même temps de parole?

De la même manière, les journalistes néerlandophones de Belgique peuvent-ils se permettre de ne jamais parler du Vlaams Belang, alors que la percée de ce parti s’annonce irrésistible, au point de le placer en tête au lendemain du 9 juin?

Dans le même temps, s’indigne-t-on en Wallonie de l’espace accordé au PTB (Parti du Travail de Belgique)? Même si l’extrême-gauche et l’extrême-droite ne peuvent sûrement pas être placée sur un pied d’égalité, en fonction des «valeurs» qu’elles défendent respectivement.

De toute manière, il y a belle lurette que les journalistes, tout en refusant toute responsabilité dans l’émergence et le progrès des mouvements d’extrême-droite, ont réfléchi à la manière de les aborder, en décortiquant leur programme et en révélant ce qu’ils ne veulent parfois pas dire.

Mais au fait, cette attitude journalistique ne doit-elle pas s’appliquer à l’ensemble des partis politiques, spécialement en période électorale? Quand Jean-Marc Nollet, ce matin, annonçait «plus de trains ponctuels» ou «quatre mille kilomètres de pistes cyclables en Wallonie» si Ecolo revient au pouvoir après le 9 juin, on aurait pu lui rappeler que le ministre fédéral de la Mobilité, Georges Gilkinet, est le vice-Premier ministre… écolo du gouvernement dirigé par Alexander De Croo. Et qu’en Wallonie, le ministre écolo de l’Énergie et du Climat, Philippe Henry, est responsable entre autres du large sous-équipement de la Région en matière de bornes de recharge des voitures électriques.

On aurait pu aussi interroger Jean-Marc Nollet sur sa présence depuis trente ans dans le landerneau politique, alors qu’Ecolo, en principe, milite pour la limitation du nombre de mandats: l’incohérence politique, plus que le silence médiatique, est une des composantes du lit de l’extrême-droite…

La vérité sur l’assassinat d’André Cools comme sur celui de Julien Lahaut?


Le troisième «procès Cools» s’est achevé prématurément, ce mardi, devant les assises de Namur: dans un arrêt longuement motivé, la cour, par la voix de sa présidente, Annick Jackers, a fait droit aux arguments de la défense de Richard Taxquet et de Domenico, alias Mimo, Castellino, pour déclarer irrecevables les poursuites engagées à leur égard.

andre-coolsRejuger des auteurs présumés de l’assassinat d’André Cools, vingt-cinq ans et demi après sa mort violente sur les hauteurs liégeoises, le 18 juillet 1991, est à la fois apparu contraire au délai raisonnable dans lequel tout justiciable doit être jugé – et quand bien même ce long délai est partiellement dû aux accusés, qui, condamnés par la cour d’assises de Liège respectivement en 2004 et en 2007, ont diligenté des procédures en cassation, puis devant la cour européenne des droits de l’homme de Strabourg, dont deux arrêts portent le nom de Richard Taxquet, puis devant la cour de cassation belge à nouveau – mais aussi parce qu’un certain nombre des témoins appelés à éclairer les jurés d’assises sont décédés. Et que les autres, comme l’avait plaidé justement un des avocats, risquaient de mêler ce qu’ils savaient à l’époque et ce qu’ils ont appris depuis lors sur cet assassinat.

Un autre motif d’irrecevabilité est venu du fait que la procédure en vigueur de nos jours, qui prévoit l’assistance d’un avocat à un inculpé dès le premier stade de l’enquête, n’avait pas été respectée dans ce dossier, et pour cause, puisque, en 1991, cette assistance n’était pas prévue par le code pénal. Confronter ces deux réalités apparaissait à la justice comme une quadrature du cercle par définition insurmontable.

Richard Taxquet et Mimo Castellino étaient entrés présumés innocents dans le box des accusés; ils en sont sortis tels quels. Et plus jamais, sauf éventuel succès du pourvoi en cassation annoncé contre l’arrêt de la cour d’assises namuroise, on ne leur demandera de répondre de l’assassinat d’André Cools, dont ils ne sont plus coupables pour l’avenir. Plus coupables, présumés innocents, mais pas acquittés: la nuance n’est pas que sémantique.

Tous deux ont été condamné à vingt ans de détention, pour ce crime, et qu’ils sont restés derrière les barreaux de ce fait. Qu’ils soient renvoyés des poursuites aujourd’hui pourra paraître étrange au grand public, mais c’est l’honneur de la Justice de respecter des règles évolutives de procédure les plus favorables aux accusés, et d’être pénétrées du principe qu’un coupable en liberté est préférable à un innocent en prison.

Non que le propos, ici, soit de dire que Richard Taxquet et Mimo Castellino soient coupables. Mais il est des faits troublants. D’abord que les autres condamnés du premier «procès Cools» le sont, eux, à titre définitif, et que les uns ou les autres ont «mouillé» les deux accusés de Namur.

Il y a aussi le rôle reconnu par Mimo Castellino à l’époque, et, si on veut écarter ses aveux, décrit dans son chef par les assassins d’André Cools, qui l’ont identifié comme l’homme qui les amenés de Sicile, puis les a reconduits vers l’Italie, le jour même de l’assassinat. Mimo Castellino a été contrôlé en compagnie des deux tueurs tunisiens le jour même, et ces derniers étant dépourvus de documents d’identité valables, ont été refoulés. Plus tard, c’est sur ses indications que les enquêteurs repêcheront, dans l’Ourthe, des armes dont celle utilisée pour tuer l’ancien président du PS. Peut-être, aujourd’hui, aurait-il dit qu’il ignorait que ses deux passagers venaient en Belgique pour commettre un assassinat, ou qu’ils venaient de passer à l’acte quand il les a évacués, mais bon…

Quant à Richard Taxquet, incriminé par Carlo Todarello, puis par le témoin anonyme… tuyauté par Mimo Castellino, il avait non seulement été désigné par une lettre anonyme parvenue aux enquêteurs une semaine après l’assassinat d’André Cools comme membre du complot visant à l’éliminer, mais aussi mis en cause par feu Alain Van der Biest. En retour, l’ancien secrétaire du ministre avait mouillé son patron dans le complot. Et s’il avait protesté de son innocence, il avait à tout le moins reconnu avoir été au courant du projet d’assassinat.

Richard Taxquet était aussi au volant de la voiture d’Alain Van der Biest, en compagnie de ce dernier et d’une troisième personne, le 12 juillet 1991. Ce soir-là, les deux tueurs tunisiens qui venaient d’arriver en région liégeoise étaient dans un café de Grâce-Hollogne, en compagnie de certains des comploteurs condamnés par la cour d’assises de Liège. La voiture s’était arrêtée sur le trottoir, devant le bistrot, et l’un des condamnés de Liège, Pino Di Mauro, était venu s’entretenir brièvement avec ses occupants. Et revenant dans le café, il avait précisé qu’«Alain commen(çait) à s’impatienter». Six jours plus tard, André Cools était mort.

Qui était le troisième occupant de la voiture d’Alain Van der Biest? Interrogés en 2003, devant les jurés liégeois, et Richard Taxquet et Pino Di Mauro avaient invoqué l’écoulement du temps pour dire qu’ils ne s’en souvenaient pas. La même question avait été posée à feu Alain Van der Biest qui, avaient noté les enquêteurs, était resté «prostré pendant de longues minutes», avant de dire qu’il ne se le rappelait pas lui non plus.

Pour de nombreux observateurs, l’identité de cet occupant livrerait probablement la réponse à la question que tout le monde se pose: si les organisateurs de l’assassinat du «maître de Flémalle» ont incontestablement été les membres du cabinet d’Alain Van der Biest; si ce dernier était, au minimum, au courant de ce projet criminel; quelqu’un d’autre ne tirait-il pas les ficelles?

Tout aura été fait pour percer le mystère, y compris l’interrogatoire sous hypnose de Pino Di Mauro. Tout ce qu’on en en aura obtenu, c’est que l’occupant était vraisemblablement un homme aux cheveux gris. N’en saura-t-on donc jamais plus? En Justice, au grand dam de la famille Cools, le dossier s’est refermé ce mardi, alors que la prescription des faits n’interviendra qu’en 2021. Il est donc fort possible que le mystère subsiste. Mais la même julien-lahautréflexion était sûrement la règle, dans les mois et les années qui ont suivi l’assassinat, le 18 août 1950, du tribun communiste Julien Lahaut, à Seraing?

Le parallèle entre le destin tragique des deux hommes politiques de la périphérie liégeoise a souvent été dressé, après qu’André Cools fut tombé sous les balles des assassins. Mais dans le dossier de Julien Lahaut, contrairement à ce qui s’est passé un demi-siècle plus tard, jamais personne n’avait dû répondre du crime devant les assises. On sait pourtant désormais non seulement qui étaient ses exécuteurs, mais aussi sur instruction de qui ils ont agi. Grâce, notamment, à l’obstination de l’ancienne députée européenne socialiste liégeoise Véronique De Keyser et à l’intervention de l’alors ministre écolo Jean-Marc Nollet, qui ont débloqué les fonds nécessaires à l’enquête, menée par des historiens.

Si ce crime a pu être résolu, six décennies plus tard, rien n’interdit de penser que le dossier Cools révèlera encore ses secrets, si tant est qu’il en contienne encore. D’abord parce que des témoins sont toujours en vie. Et que, libérés de l’hypothèque judiciaire, certains pourraient se sentir autorisés à parler. Des archives parleront elles aussi, tôt ou tard. À des historiens, à des journalistes, à des politiques? Rien n’est garanti, bien sûr. Mais l’enquête, elle, n’est pas close; elle a changé de nature.