C’était le temps où tout le monde pouvait aller admirer Beckenbauer, Maier, Müller et les autres


Le décès de Franz Beckenbauer, le 7 janvier dernier, a été largement commenté dans la presse. On a tout dit du «Kaiser», de sa performance comme joueur de club puis comme entraîneur vainqueurs tous deux de la Coupe d’Europe des clubs champions, comme on disait à l’époque. De son élégance dans son rôle de libero du Bayern de Munich et de l’équipe nationale allemande, championne du monde chez elle, et à Munich par surcroît, en 1974, face à l’armade hollandaise apparemment invincible emmenée par Johan Cruyff, lui aussi disparu.

Personnellement, cela m’a rappelé la soirée du 15 mai 1974, au stade du Heysel, qui ne s’appelait pas alors encore le stade Roi Baudouin. C’est là que se retrouvaient face à face le Bayern, qui paraissait irrésistible avec notamment son «Bomber», Gerd Müller, la terreur des défenses, face à l’Atletico Madrid, qui atteignait, sauf erreur de ma part, pour la première fois la finale de la coupe «aux grandes oreilles» que son rival madrilène, le Real, avait déjà ramenée quelques fois dans la capitale espagnole.

Pourquoi ce souvenir? Parce que, jeune étudiant, j’étais dans une tribune où supporters bavarois et madrilènes se côtoyaient, se chambraient, mais où nulle agressivité ne transpirait.

Si j’avais pu assister à cette rencontre, et enfin voir de mes yeux les vedettes bavaroises que je n’avais jamais suivie jusque-là que sur le petit écran, c’est forcément parce que le prix des places, pour cette finale, était accessible même pour l’étudiant désargenté que j’étais alors. Peut-être avais-je dû épargner quelque temps pour m’offrir le ticket d’entrée, mais l’épreuve, manifestement, n’avait pas été trop dure à digérer.

Autre circonstance, inimaginable aujourd’hui: j’avais pu acheter mon billet aux guichets du Heysel, sans devoir déclarer si j’étais un supporter du Bayern ou de l’Atletico. Quand bien même j’avais bricolé un petit blason, attaché à mon blouson, dans lequel le supporter du RFC Liégeois que je suis toujours, saluait le Bayern de Munich…

Comme d’autres, j’attendais le rouleau compresseur bavarois… qui ne s’est pas mis en marche ce soir-là. Pire, au terme d’un 0-0 enregistré à la fin des 90 minutes (sans que je ne pense à dire à l’époque qu’«un score inverse eût mieux reflété la physionomie de la partie» comme aime à le répéter un de mes vieux potes), et une première prolongation terminée sur le même score nul et vierge, un but de Luis Aragonès, le futur sélectionneur de la «Roja», inscrit à la 114eme minute, provoquait l’effondrement des supporters bavarois, tandis que les aficionados de l’Atletico sortaient leur gourde de vin et le faisaient couler de manière à la fois typique et abondante.

Le rush final des Bavarois semblait vain, tant la défense des Madrilènes tenait le coup. L’arbitre de la rencontre se préparait déjà à siffler les trois coups fatidiques, pour mettre fin à la partie, quand Hans-Georg Schwarzenbeck, alias Katsche, le stoppeur de l’équipe du Bayern, franchissait la ligne médiane, s’avançait, et, des 25 mètres, frappait comme un bœuf le ballon… qui pénétrait dans le but adverse au ras du montant.

J’ignore si Schwarzenbeck, soldat de l’ombre par excellence, dont la rigueur extrême a notamment aidé Franz Beckenbauer à jouer son rôle de libero offensif, a inscrit beaucoup de buts dans sa carrière. Mais celui-là, inscrit à Bruxelles, le 15 mai 1974, a sauvé son club de l’humiliaton!

Aujourd’hui, on s’en remettrait à la loterie des coups de réparation. Mais alors, le nombre de rencontres imposées aux grandes vedettes du ballon rond était beaucoup moins important qu’aujourd’hui. Et la finale… s’est rejouée le surlendemain.

Celle-là, hélas, je ne l’ai pas suivie dans les tribunes du stade, mais devant l’écran de la télévision. Et là, le Bayern s’est retrouvé pour écraser l’Atletico Madrid (4-0) et conquérir la première de ses trois coupes d’Europe des clubs champions.

Dans l’équipe du Bayern, championne d’Europe lors de son «replay» bruxellois, une majorité très large de joueurs allemands, et même bavarois…

Bien sûr, déjà à l’époque, les clubs les plus riches dominaient déjà la scène européenne. Mais il n’empêche, dans cette équipe du Bayern championne d’Europe, l’immense majorité des joueurs étaient allemands et même bavarois.

Aujourd’hui, la finance folle domine et corrompt le football européen et le football mondial. Il n’est plus possible au spectateur lambda d’acquérir un billet pour une finale de coupe d’Europe, encore moins d’aller acheter son ticket d’entrée aux guichets du stade. Et la condition sine qua non pour obtenir ce précieux sésame, c’est de déclarer quel club on soutient.

Par le principe même du ruissellement, les mêmes règles valent pour les compétitions belges, que ce soit en première, en seconde divisions (désolé d’utiliser ces termes vieillots, je me refuse à nommer les «parrains» de ces compétitions) et même dans les divisions inférieures.

Quant aux journalistes sportifs, un genre journalistique auquel j’ai goûté, il y a une quarantaine d’années, leur rôle se réduit de plus en faire-valoir, dès lors que le choix des joueurs qu’ils peuvent interviewer après les rencontres leur est désormais dicté par les clubs.

On a beau dire que la République est toujours plus belle sous l’Empire, on ne m’empêchera pas de penser que la dérive du football au plus haut niveau finira par tuer le football lui-même…