Un coin limbourgeois dans le «canon flamand»


Quand il n’oublie pas la commune de Fourons, le Belang van Limburg joue le rôle de porte-parole de sa province. Et en vertu du principe selon lequel «qui aime bien châtie bien», il n’hésite pas à fustiger l’autorité flamande quand elle ne respecte pas, à ses yeux, la spécificité du Limbourg.

Nous avons déjà évoqué dans ce blog, la critique du «canon flamand», ce récit historique à visée nationaliste, voulu par le ministre-président flamand, Jan Jambon, et son ministre de l’Enseignement, Ben Weyts, lui aussi N-VA.

Des historiens flamands réputés ont fait part de leur désaccord avec cette manière d’écrire, ou de réécrire l’Histoire.

Le Belang van Limburg, lui, a dénoncé le fait que ce «canon flamand» résumait trop à ses yeux l’histoire du comté de Flandre, et un peu du duché de Brabant et du marquisat d’Anvers. Un peu à la manière dont Henri Pirenne, à la fin du XIXeme siècle, avait écrit l’histoire de… Belgique, négligeant la Wallonie. D’où le cri de Jules Destrée, dans sa Lettre au Roi, de 1912, «Ils nous ont volé notre histoire».

Le quotidien de Hasselt dénonçait le même oubli pour la province de Limbourg, dont il rappelait qu’à l’époque, les territoires qui le composent, essentiellement le comté de Looz, faisait partie de la principauté de Liège.

Le Belang van Limburg en remet une couche pour l’instant, en publiant une série d’été sur l’histoire du Limbourg.

Ce vendredi, il rappelait ainsi que Louis-Erasme Surlet de Chockier a été le premier chef d’État de la Belgique, avant le choix de Léopold Ier.

Surlet de Chockier est largement tombé dans l’oubli depuis lors. Sauf à Gingelom, une petite commune du sud de la province, non loin de Saint-Trond, dont il était châtelain, et où son buste décore toujours la Maison communale.

La série est sur le point de prendre fin. Elle enfonce un coin dans le «canon flamand». Elle rappelle surtout que les faits sont têtus. Et que vouloir les plier à une humeur politique du moment est une démarche condamnée d’avance.

Le Limbourg vent debout contre «Het Verhaal van Vlaanderen»


Est-ce la lettre d’un lecteur, évoquée dans l’article précédent de ce blog… ou la lecture de ce billet qui a suscité une réaction du Belang van Limburg? Toujours est-il que le quotidien limbourgeois est revenu, dans son édition de ce samedi, sur la saga historique de la Flandre, Het Verhaal van Vlaanderen. Pour en regretter l’absence du Limbourg. Et en dénoncer le centrage sur la Flandre-Occidentale et la Flandre-Orientale, qui formaient le cœur du comté de Flandre, mis en exergue par cette série, commanditée par le gouvernement flamand.

«On est bien d’accord, on ne peut pas tout raconter», s’indigne Frank Decat, un historien trudonnaire interrogé par le journal. «Mais tout cela n’est pas équilibré».

Et de préciser: «je n’ai ainsi rien entendu sur la ville romaine de Tongres (…) la seule ville qui existait à l’époque dans ce qui est aujourd’hui la Flandre. Rien non plus sur le Saint Empire romain (de la nation germanique) dont le Brabant et le Limbourg faisaient partie au Moyen Âge».

«C’est un retour de l’Histoire de la « Belgique à papa ». Appelez-la plutôt l’Histoire du comté de Flandre», assène l’historien trudonnaire.

L’homme connaît bien le passé de sa province. «À l’époque, il s’agissait du comté de Looz», rappelle-t-il. Avant de revenir sur le tour de passe-passe historique opéré en 1815, quand la Belgique et les Pays-Bas ont été réunis sous le sceptre de Guillaume Ier, qui voulait conserver le titre de duc de Limbourg. Celui d’un duché, incorporé, comme le comté de Looz, à la principauté de Liège, et dont le titulaire résidait «dans la petite ville de Limbourg, sur la Vesdre, dans ce qui est aujourd’hui la province de Liège. Le problème est qu’à part un village des Fourons, notre province actuelle n’a jamais fait partie de ce duché», relate Frank Dekat. De quoi souligner que… les Fourons ne sont pas limbourgeois?

Les présentateurs du Verhaal van Vlaanderen sont ainsi tombés dans le piège, en rappelant que le duc de Bourgogne, Philippe le Bon «a hérité des duchés du Brabant et du Limbourg», explique-t-il.

L’affirmation est justifiée sur le plan historique, se défendent les producteurs de la série. L’homme en convient. Mais il précise que cela peut créer la confusion chez les téléspectateurs actuels, qui pensent, à tort, que les provinces belge et néerlandaise du Limbourg faisaient partie de ce duché. La projection d’une carte de géographie d’époque aurait peut-être pu dissiper le malentendu…

Des historiens ont pourtant été associés à la conception de la série. «Exact», a confirmé Jelle Haemers, professeur à la KUL, l’université catholique flamande de Leuven. «Mais ils n’ont pas participé à la rédaction du scénario. Cela a été le travail de la maison de production. Les historiens ont du simplement répondre à des questions spécifiques».

Jan Dumolyn, qui enseigne à l’université de Gand, opine: «les critiques venues du Limbourg, dont on parle fort peu, sont justifiées. Il en va de même pour le Brabant d’ailleurs». L’historien gantois, comme nous l’avons fait dans notre précédent billet, renvoie à Henri Pirenne, dont l’histoire médiévale «s’est réduite à celle du comté de Flandre (…). Les histoires (du comté) de Looz et (de la principauté) de Liège» ont ainsi été réduites pratiquement à néant.

L’ennui, c’est que ce flop historique a un coût: 2,4 millions d’euros, financés par le gouvernement flamand!

«Et ce qui est regrettable, c’est que jusqu’à présent, on n’a considéré que ce qui s’est passé sur le territoire de la Flandre d’alors, pas sur ce qui est aujourd’hui la Flandre. Peut-être parce que les auteurs voulaient éviter toute forme d’anachronisme», a ajouté Jelle Haemers au Belang van Limburg.

Or, dans le cahier des charges de cette série, il est prévu qu’elle doit promouvoir l’identité de la Flandre. «Ce contre quoi les historiens ont protesté», rappelle l’historien de la KUL. «Et nous constatons aujourd’hui que cette vision sert surtout à diviser»...

La langue joue aussi un rôle, déplore Jelle Haemers: «dans les université flamandes, les histoires (du comté) de Looz et (de la principauté) de Liège ont beaucoup moins étudiées. Tandis qu’il en va tout autrement à l’université de Liège. Mais, là, il y a la barrière de la langue, même si les collègues liégeois prennent parfois la peine de faire traduire leurs recherches, ou tout au moins une partie d’entre elles». Un aveu tout de même étonnant dans le chef d’un professeur d’université, incapable, apparemment, de lire ou de se faire traduire des travaux scientifiques rédigés en français.

Le Belang van Limburg a donné aussi la parole aux réalisateurs du Verhaal van Vlaanderen.

«Notre propos était de présenter un récit clair. Là où c’était possible, nous avons nuancé. Jusqu’ici, nous nous sommes effectivement centrés sur Bruges, qui était alors la plus grande ville commerciale d’Europe de l’Ouest», plaident-ils.

«Il y a eu énormément de recherches avant cette série», poursuivent-ils, «et nous avons eu beaucoup trop de documentation. Il nous a fallu élaguer, élaguer et encore élaguer. Pour une série qui dure dix fois cinquante minutes, il faut faire des choix. Tout ce que nous disons est historiquement correct (…) Mais voyez le résultat: il y a maintenant un intérêt immense pour l’Histoire»...

Le problème, c’est que cet intérêt pour l’Histoire, dans certaines régions de Flandre, et notamment en province de Limbourg, suscite surtout une critique justifiée. Sur le fond, et donc sur la démarche.