Le retour de Seraing en D1A: sympa… mais de quel Seraing parle-t-on?


L’événement footballistique du week-end, dans notre petite terre d’héroïsme, a été la dégelée infligée par le RFC Seraing au SK Waasland-Beveren, qui condamne à la relégation le club waeslandien, et ramène du coup les Sérésiens au plus haut niveau du football belge, qu’ils ont quitté il y a un quart de siècle.

Ce résultat fait que la saison prochaine commencera à nouveau avec quatre clubs wallons au sein de l’élite: le Standard, le Sporting de Charleroi, l’AS Eupen (que je qualifierais plutôt de club germanophone… ou qatari), et donc, à la place de l’Excelsior Mouscron, le RFC Seraing, ou plus exactement le FC Seraing, si l’on s’en tient à la règle qui impose qu’un titre de «société royale» ne s’obtient qu’en fonction de conditions strictes (50 ans d’existence et agrément du Palais Royal), et qu’il ne peut se transmettre au gré de cessions à l’encan, dont le club de l’ancienne cité du fer a fait plusieurs fois l’objet au cours des dernières années.

Si l’on s’en tient aux faits, le RFC Seraing, club créé en 1905, a connu une existence chahutée marquée, au cours du dernier demi-siècle, par une grève des joueurs en 1969; par l’arrivée, l’année suivante, du défunt bourgmestre de Seraing, Guy Mathot, dans le comité de direction du club, ce qui lui attirera, plus tard, divers ennuis judiciaires; par la faillite du club, le 18 juin 1984, et sa reprise, en 1990, par le défunt entrepreneur bruxellois Gérard Blaton. Lequel fera flamber le Pairay, en qualifiant notamment le club pour une coupe d’Europe, avant de jeter l’éponge: le 2 avril 1996, le RFC Seraing est absorbé dans la fusion avec le Standard de Liège, et son matricule, le 17, disparaît pour toujours.

Feu le notaire Paul Plateus, fils de François Plateus, dirigeant historique du club, ancien secrétaire général du RFC Seraing, avait lutté jusqu’au bout pour faire échec à cette fusion, qui «tuait» son club. Mais comme le nabab bruxellois disposait de la totalité des parts de la coopérative, il n’avait eu que ses mots à opposer à une fusion qui équivalait à une mise à mort.

Restait le stade du Pairay, désormais veuf: il ne restera pas longtemps inoccupé. La Royale Union Liégeoise, née de la fusion de Bressous (matricule 23) et de Jupille, sous l’impulsion de l’ancien secrétaire du CPAS de Liège, Michel Faway, vient y planter ses pénates, et, en hommage au lieu, modifie son nom: le RFC Seraing-RUL voit le jour. Le 1er juillet 1996, il adaptera son nom: le RFC Sérésien accueille au sein de son équipe dirigeante d’anciens joueurs du RFC Seraing. En troisième division, le club se reconstruite patiemment jusqu’à l’irruption de Bernard… Serin.

Bernard Serin est une personnalité hors du commun. Il est arrivé en région liégeoise dans les bagages d’Usinor, et a été placé à la tête de Cockerill-Sambre quand le groupe sidérurgique lorrain a repris la sidérurgie wallonne.Tenu à l’écart du comité de direction du géant sidérurgique Arcelor, né de la fusion, le 18 février 2002, d’Usinor, de la luxembourgeoise Arbed, et de l’espagnole Aceralia, il claque ensuite la porte et reprend, avec l’aide de capitaux liégeois, Cockerill Mechanical Industries (CMI), la filiale la plus boîteuse du bassin sidérurgique liégeois. Il la transforme rapidement en success story wallonne et internationale: le groupe, qui a pris aujourd’hui le nom de John Cockerill, rayonne dans le monde entier.

Parallèlement à cela, cet hédoniste, originaire de l’Hérault, est devenu à la fois Lorrain et liégeois, et il est passionné par le football. Entré dans le comité du FC Metz en 2006, il en devient le vice-président exécutif en 2008, puis président en 2009, succédant au mythique Carlo Molinari. Bernard Serin préside toujours le club messin, qui, sous sa conduite, a connu des fortune diverses, faites de descente en Ligue 2 puis de remontée en Ligue 1, où il figure toujours aujourd’hui.

Cet homme d’affaires avisé imagine alors rapidement un partenariat entre le club lorrain et… qui au fond?

Dans un premier temps, le 1er juillet 2013, il reprend le RFC Sérésien, mais le club évolue alors en Iere provinciale liégeoise: la mariée n’est pas assez belle pour en faire un partenaire du FC Metz.

Un an plus tard, c’est le tour de passe-passe: le 1er juillet 2014, Bernard Serin rachète le matricule du club de Boussu-Dour, club lui-même issu d’une fusion, mais à bout de souffle. Sous le numéro 167, le club, baptisé Seraing United, évolue alors en division II.

Douze mois plus tard, le 1er juillet 2015, le club change à nouveau de nom: selon le site du club, il redevient le «RFC Seraing».

Petit problème, sauf à donner à la lettre «R» une autre dénomination, il ne peut en aucun cas exciper du titre de «Royal» puisque Seraing United n’avait pas hérité de cette distinction, non plus que Boussu-Elouges et Dour, clubs passé à la trappe de cette opération, de même que Bressoux, Jupille, et la Royale Union Liégeoise, dont le souvenir ne subsiste plus que chez les historiens du football belge.

Le phénomène n’est pas unique dans le football belge: pour ne plus parler du RWDM qui unit trois clubs disparus (le Racing de Bruxelles, le White Star, et le Daring de Molenbeek) qu’on a rebaptisé abusivement «Daring» à chaque fois qu’il a rencontré l’Union Saint-Gilloise, le Beerschot, par exemple, failli lui aussi, ne s’est tiré d’affaire qu’en rachetant le matricule de Wilrijk, et n’a gardé que pour un temps le nom de Beerschot-Wilrijk qui correspondait exactement à sa situation «matriculaire»

Le partenariat entre les deux clubs peut alors s’organiser: Seraing devient la succursale du FC Metz.

Un partenariat «gagnant-gagnant»? Pas immédiatement, puisque, avec la réforme du football belge, le FC Seraing s’est retrouvé en division IA francophone, où il a figuré sans briller jusqu’à l’année dernière, quand à la faveur d’un replâtrage de bric et de broc de la division I B (avec notamment l’intégration brillamment ratée des U23 du Club Brugge), le matricule 167 a bénéficié de circonstances administrative favorables, avec le désistement de plusieurs clubs, pour acquérir, sur le tapis vert, le droit de jouer à l’étage supérieur cette saison.

On connaît la suite: les renforts heureux venus de Lorraine, avec surtout le buteur Georges Mikautatdze, 22 buts cette saison, qui va repartir pour Metz; le début de championnat tonitruant; puis la lutte pour conquérir la deuxième place dans le sillage de l’intouchable Union Saint-Gilloise, placée, elle, sous tutelle britannique.

La conclusion de cette campagne est tombée dimanche, et quelques centaines de supporters ont fêté les «Rouge et Noir» à leur retour au Pairay.

Le plus dur commence maintenant. D’abord pour reconstruire une équipe, car Metz, qui a besoin de toutes ses plumes pour voler, reprendra ses meilleurs éléments, pour en amener d’autres, inexpérimentés, sur les hauteurs sérésiennes. Le problème, c’est qu’en division IA, les débutants n’ont pas toujours l’occasion de se faire les dents. Et le récent match de coupe de Belgique entre Seraing et le Standard est là pour montrer l’écart qu’il lui reste à franchir pour éviter de faire un rapide aller et retour.

Et puis reste la quadrature du cercle que Seraing, même à la grande époque des Bocande, Oblitas, Rojas, Bertelsen, Kabongo ou Lukaku (Roger, pas Romelu…) n’a jamais pu résoudre: hors les derbies liégeois, face au Standard ou au RFC Liégeois alors toujours en division I, ou à part la visite du Sporting d’Anderlecht ou du Sporting de Charleroi, les travées du Pairay sont le plus souvent restées désespérément vides.

Si on peut être heureux de cette promotion, et féliciter le FC Seraing pour ce résultat, ce n’est pas faire preuve d’un pessimisme exagéré de dire que son avenir reste aussi sombre que les fumées qui, jadis, sortaient de ses hauts-fourneaux aujourd’hui éteints…